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Nouveaux modes organisationnels pour mieux prévenir les accidents de pétroliers liés au facteur humain
La motivation initiale du projet OCEAN est née du constat de la répétition d’un nombre important d’accidents de pétroliers pouvant causer chaque année des dommages conséquents tant sur les plans humain, économique et environnemental. Nous nous sommes vite aperçus que les accidents maritimes concernaient tous les types de navires ayant pour point commun « le facteur humain » pointé du doigt par la littérature comme cause majeure de ces accidents. Ce fut par exemple le cas de l’échouement du vraquier MV Wakashio fin Juillet 2020 à proximité des côtes de l’Ile Maurice causant plusieurs morts et le déversement de pétrole au sein d’un lagon protégé de l’île.

Une équipe du CERAG constituée de trois enseignant-chercheurs (Isabelle Corbett-Etchevers, Carine Dominguez-Péry et Jérémy Eydieux), de deux doctorants (Marcio Lassance et Lakshmi Narasimha Raju Vuddaraju) et d’un étudiant du Master recherche en systèmes d’information ARAMIS de Grenoble IAE School of Management (Vikhram Kofi Duffour) s’est alors constituée pour se poser la question : quelle pourrait être la contribution des sciences de gestion et d’organisation pour mieux comprendre le facteur humain et ainsi contribuer à réduire les risques d’accidents maritimes ? Si la littérature indique que 85% des causes d’accident sont liés à l’humain, les navires restent de façon surprenante des organisations largement impensées par les sciences de gestion tant du point de vue empirique, théorique ou méthodologique. Elles sont pourtant des organisations centrales sur le plan économique comme l’a rappelé le récent blocage du Canal de Suez par le porte-conteneur Ever-Given : le transport maritime assure plus de 90% des flux commerciaux mondiaux ! Les navires constituent de fait des organisations originales qui rassemblent des équipages internationaux, caractérisés par un fort niveau de turnover et avec des métiers variés (navigation, mécaniciens, cuisiniers etc.). Les marins vivent « confinés » jours et nuits pendant des durées de navigation pouvant aller jusqu’à un an sans retourner sur la côte, ce qui amène à adapter les modes de management pour répondre aux tensions inévitables de ces équipages à qui l’on demande de faire un travail difficile tout en optimisant de plus en plus les variables de gestion. Un dernier point qui caractérise les navires est leur automatisation croissante en technologies de l’information et de la communication pour assurer de plus en plus de tâches relatives à la navigation : à l’image des véhicules autonomes, le nombre d’équipiers à bord a tendance à se réduire au profit de différentes technologies de navigation et de communication, ce qui pose de nouveaux problèmes d’usages pour ré organiser le travail à bord mais aussi pour communiquer de façon efficiente avec l’ensemble des acteurs qui interagissent avec le navire depuis la côte. Pour étudier ces questions, nous avons complété l’équipe avec Valérie Lépine, enseignante-chercheuse HDR du LERASS, laboratoire spécialisé en sciences de l’information et de la communication.

Cette équipe a obtenu un projet IRS OCEAN fin 2019 pour un budget de 13 KE. Elle a réuni des compétences du CERAG en innovations organisationnelles (axe Innovation et Complexité Organisationnelle) et en management des risques (axe Anticipation et gestion des risques), avec celles en sciences de la communication du GRESEC au sein du pôle Sciences Sociales (PSS).
 
L’étude a porté sur la conduite d’entretiens semi-directifs auprès de capitaines, de marins mais aussi de professionnels du maritime spécialisés en systèmes d’information. L’équipe a également réalisé des revues de littérature permettant de mieux comprendre le rôle des technologies de l’information dans les problèmes d’interaction homme-machine lors des phases de navigation (Dominguez-Péry et Vuddaraju, 2020), la place de l’humain dans les causes d’accidents (Dominguez-Péry et al., 2021a) ainsi que la nature des modèles de risques mobilisés par la recherche pour prévenir ces accidents (Dominguez-Péry et al., 2021b). L’analyse des Tweets collectés lors de l’échouement du MV Wakashio a enfin permis de proposer des cadres théoriques liées à la synchronicité et à la richesse des médias ainsi qu’un outil pour mieux communiquer avec l’ensemble des acteurs en vue de minimiser les risques d’accidents maritimes (Dominguez-Péry et al., 2021c).
 
Le projet IRS OCEAN a été un point de départ pour développer de nouvelles connaissances sur un terrain atypique pour les sciences humaines et sociales. Notre équipe a dû s’adapter à la crise COVID qui a largement affecté les armateurs et plus largement tous les professionnels de la mer, réduisant parfois nos capacités d’accès aux terrains. L’équipe s’est aussi en partie reconfigurée avec le départ de Valérie Lépine nommée professeur à l’Université Paul Valéry de Montpellier 3. Dans la continuité du projet IRS, des échanges avec le CDP Risk de l’UGA ont été l’occasion d’initier des travaux interdisciplinaires en mathématiques avec Franck Corset, enseignant-chercheur au LJK. Avec une équipe du LJK, nous avons ainsi initié l’étude de réseaux bayésiens intégrant les résultats du projet IRS OCEAN. Un réseau national de chercheurs intéressés par cette thématique, ainsi que des partenaires en Angleterre (Rana Tassabehji) et au Brésil est en cours de constitution pour poursuivre ces travaux autour des navires qui constituent des concentrés d’humanités passionnants à étudier !
 
Publications issues du projet IRS OCEAN:
 
 
Dominguez-Péry C., Vuddaraju L.N.R. (2020), « From Human Automation Interactions to Social Human Autonomy Machine Teaming in maritime transportation ». In: IFIP WG8.6 Conference 2020, Tiruchirappalli, India, December.
 
Dominguez-Péry C., Vuddaraju L.N.R., Corbett-Etchevers I., Tassabehji R. (2021a), “Reducing tanker accidents by tackling human error: a systematic literature review and future research agenda”, The World of Shipping Conference, Portugal, January.
 
Dominguez-Péry C., Vuddaraju L.N.R., Duffour V., Eydieux J., Tassabehji R. (2021b), “Risks and safety in maritime transportation: a review and agenda for research”, The World of Shipping Conference, Portugal, January.
 
Dominguez-Péry C., Tassabehji R., Vuddaraju L.N.R., Duffour V. (2021c), “Improving Emergency Response Operations in Maritime Accidents using Social Media with Big Data Analytics: the MV Wakashio disaster case study”, International Journal of Operations & Production Management, Vol. 41 No. 9, pp. 1544-1567. https://doi.org/10.1108/IJOPM-12-2020-0900
 
Mis à jour le 13 octobre 2021